La rupture

La première chose qui le frappa lorsqu’il entra dans l’appartement ce fut le sentiment que quelque chose manquait. Puis son regard se posa sur le mot. Un petit morceau de papier cartonné blanc, laissé en évidence sur le buffet du couloir. Il jeta un regard autour de lui, c’était étrange comme l’appartement semblait vide. Son regard tomba à nouveau sur le mot. Il hésita un instant avant d’enfin franchir les quelques pas qui le séparaient du meuble. Il attrapa le morceau de papier et le lu.
Guillaume, tu as été mon plus grand amour, tu es mon plus grand amour et tu le resteras sûrement toute ma vie. Sache que je t’aime plus que tout, sincèrement. Mais ça ne peut plus continuer comme ça, je n’en peux plus de tes crises et de tes accès de colère, de tes idées noires et de ces moments ou tu ne vis plus, je n’en peux plus de ces mille excuses brisées par mille autres blessures. Tu es quelqu’un de bien, je le sais, mais quelque chose en toi est cassé, quelque chose que je ne pourrais jamais réparer… Je sais que ça va probablement te briser le cœur mais je n’ai plus l’énergie pour lutter. Mon amour pour toi ne suffit pas alors je pars. Ne me cherche pas, je ne veux pas que tu me trouves. C’est le seul moyen si on ne veut pas tous deux devenir fous…
Adieu.
Le mot était écrit à la main, d’une écriture cursive et appliquée à l’encre bleue. Pas de signature, pas de nom. Pas besoin, pensa-t-il. Sa main tremblait légèrement lorsqu’il reposa le mot sur le meuble de l’entrée et des larmes perlaient au coin de ses yeux. Il s’adossa au mur et se laissa lentement glisser au sol, de légers sanglots secouant ses épaules. Il avait du mal à y croire. Était-ce vraiment la fin ? Après tous ces moments passés ensemble, ces quatre années d’amour et d’épreuves… Qu’avait-il fait pour en arriver là ? Il resta longtemps assis à même le sol, laissant ses larmes couler et sa poitrine se serrer. Seul le faible bruit de l’eau courant dans les murs, entrecoupé de quelques rares sanglots, emplissait l’appartement maintenant dégarni de la moitié de ses affaires.
Lorsqu’il se releva enfin, une éternité s’était écoulée, il sentit l’engourdissement qui avait prit possession de ses jambes se dissiper avec une certaine réticence. Il se dirigea d’un pas lent vers la chambre ; le lit était fait, les rideaux tirés, la pâle lumière du soleil donnait dans la pièce. Sur les tables de chevet trônaient deux petites lampes et au mur était accroché un tableau, relique d’un autre temps qu’ils avaient tous les deux déniché dans une vieille brocante. Malgré tout cela la pièce lui paraissait complètement vide. Il n’arrivait pas à se faire à l’idée que c’était vrai, que c’était fini, que ce vide ferait maintenant partie intégrante de l’appartement… Il ouvrit le placard de la penderie. Ce dernier n’était rempli qu’à moitié : costumes, chemises et pantalons, tout le reste avait disparu. Les jeans, les hauts colorés, les écharpes et même ses sous vêtements, rien ne restait. L’émotion l’envahit soudain à nouveau et il ne retint cette bouffée de tristesse qu’avec difficulté, refermant le placard avant de sortir de la chambre. Il passa dans toutes les pièces, y jetant à chaque fois un rapide regard circulaire. Le résultat était toujours le même : vidées d’une partie de leurs affaires. La respiration haletante et le cœur battant, il se retrouva à nouveau dans le couloir de l’entrée. Alors la dispute lui revint dans un torrent d’émotions, comme un coup de foudre. Ou plutôt l’inverse.
Il avait presque été violent. Presque. Jamais il n’aurait osé, il le savait, et pourtant… La noirceur de ses yeux ne faisait aucun doute quant à la colère qui bouillonnait en lui. Il y aurait peut-être même cédé s’il n’avait pas remarqué son expression effrayée et réalisé à quel point il lui faisait peur… Il n’avait pu l’empêcher de partir, restant là, l’air impuissant, à regarder sa silhouette s’éloigner. Il n’avait même pas réagit lorsqu’il l’avait vu se retourner à mi-chemin. Peut-être n’avait-il pas voulu l’en empêcher, incertain de pouvoir se pardonner lui-même… ? Etait-il allé marcher de son côté ou bien était-il resté planté là, sur le trottoir, pendant des heures avant de rentrer ? Il ne savait pas. Toujours est-il que lorsqu’il était rentré il avait trouvé l’appartement vide, non pas de son mobilier, comme c’était le cas aujourd’hui, mais de la présence humaine qui lui était devenue si familière. Il avait dû essayer de l’appeler dès son retour –les douze appels manqués en témoignaient– avant de s’effondrer de fatigue et tristesse. Le matin suivant, la nuit passée et voyant sa moitié toujours absente, il s’était rendu au travail, laissant l’appartement libre pour la journée.
Une fois de retour dans le couloir, il posa à nouveau son regard sur le mot. Il sentit les larmes lui venir et fit un effort visible pour ne pas se laisser aller à ses sanglots. Il le relu une énième fois, pour s’assurer de la réalité de ce qu’il se passait, de ce que leur couple était devenu. Adieu. Le mot résonnait dans ça tête. C’était fini, terminé. Pas d’au revoir déchirant, pas de sanglots, pas de dernière dispute. Pas même de signature. Pas besoin, tout était dit. Adieu. Tout cela sonnait si faux, si creux dans son esprit, de faibles échos dans un vide infini… Il resta un instant comme cela, immobile, la main tremblante, à fixer le mot avant de finalement laisser s’échapper un soupir. Non, il méritait au moins cela. Camille ressortit le stylo de sa poche et inscrivit son nom au bas du mot, traçant les lettres d’une écriture cursive parfaite malgré sa main tremblante. Il reposa le petit morceau de papier cartonné sur le meuble, passant un dernier regard sur l’appartement à présent vide d’affaires mais rempli de souvenirs avant de refermer la porte derrière lui.

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